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LES TAUX NÉGATIFS SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE


Jeudi 4 septembre, la Banque Centrale Européenne a baissé à nouveau ses taux d’intérêts directeurs, entraînant le fixing de l’Eonia en territoire négatif (-2.4 points de base le 11/09/2014).


​Anticipant que cette situation est durable, le marché projetait alors des taux Eonia négatifs sur deux ans, voire légèrement au-delà comme le montre le graphique ci-dessous.



​Cette situation de taux négatif ne s’est pas encore propagée sur les taux Euribor, au contraire de la situation sur le franc suisse où le taux libor 2 mois fixe en territoire négatif et où le 3 mois est aujourd’hui presque nul à moins de 1 point de base. Sur l’Euro, le taux anticipé de l’Euribor 1 mois est déjà passé en territoire négatif et le fixing actuel est quasiment à zéro. Le fixing de l’Euribor 3 mois quant à lui vient de passer en dessous de 10 points de base et les anticipations sont légèrement baissières sur les prochains mois, tout en restant en territoire positif.



​​La question des conséquences de taux négatifs sur les contrats financiers revient donc avec force sur le devant de la scène.

Conséquences sur les flux des swaps


Dans les contrats cadre standards de type ISDA ou FBF, la possibilité de flux négatif est parfaitement prévue. Un flux négatif à payer devient un flux à recevoir et un flux négatif à recevoir devient un flux à payer. Ainsi sur un swap, l’une des deux contreparties peut être amenée à payer les deux branches tandis que sa contrepartie reçoit tous les flux. Seule une disposition contraire dans la confirmation de swap peut venir contrarier ce principe et cette disposition contraire est souvent matérialisée par la mise en place d’un floor explicite avec un prix d’exercice de 0% sur la branche variable du swap.


Conséquences sur les intérêts des appels de marge


Concernant le taux de rémunération du collatéral, la situation est beaucoup moins claire.


Par défaut, les appels de marge ne sont pas floorés c'est-à-dire que la partie qui devrait recevoir des intérêts négatifs doit en fait payer les intérêts. C’est explicitement prévu dans le contrat ISDA 2006 et dans les contrats ARG.

C’est d’ailleurs actuellement le cas pour les intérêts servis par les chambres de compensation où les marges initiales sont souvent rémunérées à Eonia – marge (marge actuellement fixée à 0.30% chez Swapclear par exemple), ce qui implique que les clients déposent du cash en collatéral et payent un flux d’intérêt au lieu d’être rémunéré sur ce cash.


Toutefois certains contrats bilatéraux de CSA ou ARG (la version ISDA ou FBF des contrats d’appel de marge) prévoient explicitement un floor à zéro sur la rémunération du collatéral. Ce floor implique que la marge de rémunération du collatéral n’est plus égale à Eonia (ou à Eonia +/- marge) dès lors que ce taux devient négatif. Ceci a nécessairement des conséquences de valorisation sur l’ensemble des contrats régis par ce contrat (la valorisation bi-courbe avec actualisation des flux futurs à Eonia sec n’est plus justifiée).


Si votre contrepartie entend vous imposer un floor à zéro sur un contrat d’appel de marge qui ne comporte pas de clause particulière, nous vous recommandons de vous rapprocher de votre conseil juridique.

Conséquences sur les titres


Sur les titres, il convient de ne pas confondre les taux de rendement négatifs et les coupons négatifs.


Les taux de rendement négatifs sont assez familiers, notamment sur les dettes souveraines à court terme des pays bien notés. Pour obtenir un rendement négatif, il suffit de jouer sur un prix initial supérieur au prix de remboursement. Par exemple un titre acheté à 101% du pair et remboursé au pair peut avoir un rendement négatif si le coupon perçu ne compense pas la perte de 1% en capital. Cette situation s’étend aujourd’hui au marché de la dette privée à court terme (Titres de Créance Négociables).

Les coupons négatifs sont par contre impossibles en tant que tels. Dès 2002, la presse faisait les gros titres sur une obligation structurée émise aux Etats Unis par Berkshire « avec un coupon négatif ». Il s’agissait alors davantage d’un coup médiatique de Warren Buffet que d’une réalité économique car le coupon négatif n’était en réalité que la somme d’un coupon positif et d’un flux négatif qui matérialisait le droit de renouveler une option d’achat sur l’action Berkshire. Si le flux négatif n’était pas perçu par Berkshire, l’option d’achat s’éteignait.

Alors que les émetteurs danois pratiquent régulièrement les émissions à taux variable indexés sur un taux monétaire à très court terme, la référence variable référencée dans les émissions sécurisées est passée en territoire négatif dès 2012. L’émetteur de Covered Bonds Realkredit Danmark a alors officiellement rassuré les investisseurs sur le fait que ses titres comportaient par défaut implicitement un floor à zéro sur les coupons, s’appuyant notamment sur l’argumentaire juridique qu’une obligation est une promesse qui, une fois achetée, ne peut plus donner lieu qu’à une série de flux positifs ou nuls.

Source : SEB in Essence, 01/11/2013

Plus récemment, un cas réel qui simule un « coupon négatif » a été mis en place au Danemark par la banque Nordea sur une émission sécurisée danoise. Nordea a proposé une nouvelle structuration dans laquelle elle se donnait le droit de retenir sur les coupons suivants, et ultimement sur le remboursement de principal, tout coupon négatif qui aurait dû être perçu au titre de l’application de la formule de calcul sur les coupons variables. La valorisations de ces titres devient alors plus complexe car elle dépend des coupons théoriques passés et non plus uniquement des flux futurs.


On voit que dans tous ces cas, le coupon n’est pas véritablement négatif mais qu’il peut, si cela est explicitement prévu dans la documentation, être reporté sur un flux financier futur. Notons que cette technique du coupon négatif reporté ne pourrait pas s’appliquer sur les instruments démembrables entre les coupons et le principal (stripping) car le débiteur de coupon négatif pourrait ne pas détenir le remboursement de principal. L’émetteur se retrouverait alors dans la situation cocasse de porter un risque de crédit sur ses porteurs avec toutes les conséquences prudentielles associées…


Retenons donc que sauf exception les coupons des titres sont implicitement floorés à zéro.


Ce floor implicite à zéro sur les coupons doit naturellement se refléter dans le prix de marché du titre. Si ce n’est pas le cas, il y a un arbitrage possible.


Conséquences sur les titres swappés


Comme les titres et les swaps ne sont pas par défaut soumis au même régime concernant les taux négatifs, un titre swappé n’est micro couvert que si le swap comporte explicitement un floor à zéro. Dans le cas contraire, l’émetteur qui swappe son émission risque de voir son coût de financement décaler à la hausse par rapport à l’indice de référence au fur et à mesure que les taux baissent et l’investisseur qui swappe son actif verra a contrario augmenter le rendement de son investissement par rapport à l’index de référence.

La conséquence est financière, mais aussi comptable, puisqu’elle peut casser une relation de couverture. Dans la pratique, l’attention devrait se porter sur les floaters vanille swappés car les swaps adossés à des titres structurés ou indexés CMS voire TEC comportent le plus souvent un floor explicite qui permet un bon adossement du swap avec le titre.

Conséquences sur les modèles de valorisation des options


Dans un modèle de distribution lognormal tel que le modèle de Black and Scholes, les taux ne peuvent pas diffuser du territoire positif vers le territoire négatif et vice versa…


Ainsi, un floor dont le prix d’exercice est -0.10% ne peut valoir autre chose que zéro dès lors que la courbe des taux est en territoire positif et un cap 0.50% ne peut valoir autre chose que zéro dès lors que la courbe des taux est en territoire négatif.


Un modèle utilisant une distribution normale (de type Hull White par exemple) peut permettre de résoudre cette incohérence.


Les premières difficultés apparaissent déjà sur les caps et floors indexés sur l’Euribor 1 mois puisque les taux anticipés sont maintenant en territoire négatif, du moins sur les premiers capets ou floorlets.


Les pricers d’options vont donc devoir, dans de nombreux cas, être revisités !


De manière plus générale, nous recommandons une vigilance accrue sur les l’ensemble des éléments produits par les progiciels de marché car les taux négatifs produisent potentiellement des effets de bord inattendus tant dans la production du résultat que dans la production des états de risques.

Et la sémantique ?


Pour le clin d’œil enfin, on ne dit plus « discount factor » mais « premium factor » car avec les taux négatifs, la valeur actualisée des flux est supérieure à leur valeur future. Dans la droite ligne des changements provoqués par la crise financière, le marché continue à remettre en question les concepts de base.

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